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Institut du Professeur Max
21 octobre 2015

Littérature (contes) : "Cul-Mignon ou la petite culotte de verre"

Voici un grand classique que nos élèves prennent grand plaisir à lire et à commenter en cours de littérature :

Il était une fois un gentilhomme qui épousa en secondes noces une femme, la plus hautaine et la plus autoritaire qu’on eût jamais vue. Elle avait deux filles  qui lui ressemblaient en toutes choses.

Le mari avait, de son côté, une jeune fille d’une douceur et d’une bonté sans exemple.

 

Les noces ne furent pas plutôt faites, que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur ; elle ne supportait pas les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison : c’était elle qui nettoyait la vaisselle et le linge, qui balayait, qui lavait, qui récurait les sanitaires, qui frottait la chambre de madame et celles de ses filles. Lorsqu’elle n’était pas satisfaite de son travail (ce qui arrivait quotidiennement), la marâtre lui fouettait les fesses à coup de verges dans la cour, même en hiver.

 

CulMignon01

La jeune fille couchait tout au haut de la maison, dans un grenier très froid et très humide, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs dormaient dans des chambres somptueuses, bien chauffées, où elles avaient des lits douillets, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu’à la tête. Elle était vêtue de vilains habits déchirés et n’avait même pas de culotte à mettre sur ses pauvres fesses marquée des coups de verges de sa belle-mère.

La pauvre fille  souffrait tout avec patience, et n’osait se plaindre à son père qui l’aurait grondée, parce que sa femme le dominait entièrement.

Lorsqu’elle avait fait son ouvrage, elle allait se mettre dans un coin ; elle n’avait le droit de s’asseoir que sur un paillasson qui lui rougissait davantage les fesses, ce qui faisait qu’on l’appelait communément, dans le logis, Cul Vermillon. La cadette, qui n’était pas si malhonnête que son aînée, l’appelait Cul-Mignon .

 

CulMignon02

Cependant Cul-Mignon, malgré ses méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus belle que ses sœurs, quoique vêtues magnifiquement de leurs uniformes de l’Institut où elles étudiaient la rhétorique.

Il arriva que le fils du roi donna un bal, et qu’il y invita toutes les personnes de qualité. Nos deux demoiselles  furent aussi invitées, car elles faisaient grande figure dans le pays.

Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux. Nouvelle peine pour Cul-Mignon, car c’était elle qui lavait et repassait le linge de ses sœurs. On ne parlait que de la manière dont on s’habillerait.

« Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre.

 – Moi, dit la cadette, je mettrai ma robe de satin et ma mantille d’Espagne. »

Elles appelèrent Cul-Mignon pour lui demander son avis, car elle avait bon goût. Cul-Mignon les conseilla le mieux du monde, et s’offrit même à les coiffer ; ce qu’elles voulurent bien.

En les coiffant, elles lui disaient :

« Cul-Mignon, serais-tu bien aise d’aller au bal ?

– Hélas, mesdemoiselles, vous vous moquez de moi ; ce n’est pas là ce qu’il me faut.

– Tu as raison, on rirait si on voyait un petit Cul Vermillon aller au bal. »

 

Une autre que Cul-Mignon les aurait coiffées de travers; mais elle était bonne : elle les coiffa parfaitement bien. Elles restèrent près de deux jours à se pavaner devant leur miroir.

Enfin, l’heureux jour arriva ; on partit, et Cul-Mignon les suivit des yeux le plus longtemps qu’elle put. Lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa marraine, qui passait dans le quartier, vint lui rendre visite.  Elle trouva sa filleule toute en pleurs et lui demanda ce qu’elle avait :

« Je voudrais bien... je voudrais bien... »

Elle pleurait si fort qu’elle ne put achever. Sa marraine, qui était fée, lui dit :

« Tu voudrais bien aller au bal, n’est-ce pas ?

– Hélas oui, dit Cul-Mignon en soupirant.

– Eh bien, seras-tu bonne fille ? dit sa marraine, je t’y ferai aller. »

Elle la mena dans sa chambre, et lui dit :

« Va dans le jardin et apporte-moi une citrouille. »

Cul-Mignon alla aussitôt cueillir la plus belle qu’elle put trouver. Sa marraine la creusa, tailla quelques triangles pour lui donner apparence humaine, puis la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré avec un bel attelage de six chevaux, et six laquais, avec leurs habits chamarrés.

 

CulMignon02bis

La fée dit alors à Cul-Mignon :

« Eh bien, voilà de quoi aller au bal, n’es-tu pas bien aise ?

– Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits ? »

Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en des habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries ;

« Mais je n’ai toujours pas de culotte, protesta Cul-Mignon . Et les pierreries directement sur les fesses, c’est très désagréable ! »

Alors la fée transforma le paillasson en une magnifique culotte de verre, la plus jolie du monde.

Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse ; mais sa marraine lui recommanda, surtout, de ne point passer minuit, l’avertissant que si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille et que ses habits et sa culotte reprendraient leur première forme. Elle promit à sa marraine qu’elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit.

Elle partit, ne se sentant pas de joie. Le fils du roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande princesse qu’on ne connaissait point, courut la recevoir.

Il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence ; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue. On n’entendait qu’un bruit confus :

« Ah, qu’elle est belle ! »

Le roi même, tout vieux qu’il était, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas à qui voulait l’entendre qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une personne si jolie et si aimable.

Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir dès le lendemain de semblables, pourvu qu’il se trouvât des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles.

Le fils du roi la prit pour la mener danser. Elle dansa avec tant de grâce, qu’on l’admira encore davantage.

 

Le fils du roi fut toute la soirée auprès d’elle, et ne cessa de lui conter des douceurs. Il lui demanda son nom :

« On m’appelle Cul-Mignon, votre Altesse, répondit la jeune demoiselle.

- Quel joli nom ! s’exclama le prince en l’entraînant dans le jardin. D’où vous vient-il ?

- C’est parce que ma belle-mère me fouette vigoureusement les fesses et m’oblige à m’asseoir sur un paillasson, de telle sorte que mon séant est en permanence rouge vif. Ainsi ma sœur aînée m’a appelée Cul Vermillon, mais la cadette préfère Cul-Mignon.

- Montrez-moi donc cela, belle demoiselle »

Elle retroussa sa robe magnifique et fit apparaître aux yeux du prince émerveillé la superbe culotte de verre que lui avait confectionnée sa marraine. Très délicatement, le fils du roi fit glisser la culotte le long des cuisses de Cul-Mignon.

« Ah quel séant fantastique ! gémit-il d’un souffle rauque. Souffrez, belle jeune fille, que ma main s’y égare ! »

Et d’un geste tendre et galant, il entreprit de caresser les deux magnifiques globes rougis qui lui faisaient face. La jeune demoiselle ne s’ennuyait point, et oublia ce que sa marraine lui avait recommandé ; de sorte qu’elle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsqu’elle ne croyait pas qu’il fût encore onze heures : elle se leva et s’enfuit aussi légèrement qu’aurait fait une biche. Le prince la suivit, mais il ne put l’attraper. En s’enfuyant, elle avait laissé tomber sa culotte de verre, que le prince ramassa bien soigneusement.

 

Cul-Mignon arriva chez elle bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchants habits. On demanda aux gardes de la porte du palais s’ils n’avaient point vu sortir une princesse ; ils dirent qu’ils n’avaient vu sortir personne d’autre qu’une jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l’air d’une souillon que d’une demoiselle.

Le lendemain, la belle-mère constata que le paillasson avait disparu et s’en trouva fort contrariée. Cul-Mignon, qui n’avait pas pu fournir d’explication satisfaisante, fut donc attachée à un arbre et sévèrement fouettée ; ses vêtements furent confisqués pour la journée et elle dût s’acquitter de toutes ses besognes dans le plus simple appareil. Il faisait tellement froid qu’elle frissonnait de partout… sauf d’un certain endroit qui avait été particulièrement réchauffé par sa belle-mère.

 

CulMignon04

Peu de jours après, le fils du roi fit publier à son de trompe qu’il épouserait celle dont le séant serait bien ajusté à la culotte. Toutes les dames et demoiselles du royaume furent priées de se soumettre à l’essayage. Ce fut le roi lui-même qui s’en chargea. Il commença à l’essayer aux princesses, ensuite aux duchesses, et à toute la cour, mais inutilement. Il arriva chez les deux sœurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur postérieur dans la culotte, mais, même avec l’aide active du roi, elles n’y parvinrent pont.

CulMignon06

Cul-Mignon qui les regardait tout en étant occupée à sa besogne, reconnut sa culotte et dit en riant :

« Je sens qu’elle m’irait comme un gant  !» Ses sœurs se mirent à rire et à se moquer d’elle. Le roi, ayant regardé attentivement Cul-Mignon, et la trouvant fort belle, dit que cela était juste, et qu’il avait promis de l’essayer à toutes les filles.

Il fit approcher Cul-Mignon, et faisant remonter la culotte le long de ses jambes, il vit qu’elle s’y glissait sans peine, et qu’elle épousait magnifiquement ses merveilleuses rondeurs. Là-dessus arriva la marraine, qui ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cul-Mignon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.

Alors ses deux sœurs se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu’elles lui avaient fait souffrir. Cul-Mignon les releva, et leur dit, en riant, qu’elle leur pardonnerait de bon cœur, compte-tenu que ça serait maintenant à elles d’assurer le ménage et de subir la rancœur de leur mère .

On la mena chez le jeune prince, parée comme elle était : il la trouva encore plus belle que jamais, et, peu de jours après, il l’épousa.

 

La belle-mère fut nommée gouvernante de la princesse et eut comme mission de faire le nécessaire pour que Cul-Mignon conservât un séant rouge vif en permanence. Elle s’attela à cette mission avec zèle et obtint qu’on installât sur le trône de la jeune dame un paillasson incrusté de diamants !

A . Perrault :"Cul-Mignon ou la petite culotte de verre"

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Commentaires
L
j 'ai adoré ce conte excellent ! merciiii
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H
Et tout est bien qui finit bien; ils furent heureux et elle eut beaucoup de fessée. Sauf que cette nouille de prince ne les lui donne pas de lui-même...c'est très suspect ce manque d'entrain a l'ouvrage!
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S
Joli détournement deconte
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C
ah quel beau conte que celui ci, il ressemble étrangement à un conte que j'ai pu lire mais un tantinet différent!! mdrrr!!!
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E
Oh Oh j'adore les contes... les comptes aussi ! :D
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