Ce matin-là, Max arrive à son bureau très tôt comme d’habitude. Il est bien réveillé, certes, mais les souvenirs d’une soirée un peu prolongée et légèrement arrosée embrument un peu son esprit. En mode automatique, il parcours les couloirs de l’Institut, arrive devant la porte de son bureau , introduit sa clé, ouvre la porte et entre…
Il fait quelques pas et s’arrête brusquement… Il lui semble soudain qu’en ouvrant la porte, son esprit vif et alerte (mais peut-être encore un peu embrumé) a enregistré une information bizarre, une anomalie…
Il retourne à la porte et découvre avec stupeur un dessin placardé dessus.
Max arrache le papier, le froisse et le jette dans sa poubelle. Quelques minutes plus tard le travail aidant, il a oublié l’incident.
Le lendemain, quelle n’est pas la stupeur de Max en constatant qu’un autre dessin est affiché sur sa porte, avec la même signature que la veille : La Chipie Masquée. D’un geste rageur, il fait subir au papier le même sort qu’au précédent… mais il a plus de mal, cette fois-ci à oublier l’incident.
Lors de ses déambulations dans les couloirs, il croise plusieurs étudiants, les observe du coin de l’œil en se demandant lequel d’entre eux s’amuse à ce petit jeu. Il guette le moindre rire sous cape, le moindre clin d’œil, le moindre regard moqueur… La paranoïa le guette !
Le surlendemain, il s’approche de son bureau avec une boule au ventre, et il découvre le troisième dessin, la parodie d’un jeu du labyrinthe qu’il avait proposé récemment à ses étudiants pour les détendre.
Il décide alors de convoquer une assemblée générale .
Dans le grand amphi, tout le monde est là : étudiants, enseignants, personnel administratif… Max prend la parole.
« Depuis plusieurs jours, une personne malintentionnée, lâchement cachée sous le pseudonyme de La Chipie Masquée se permet d’apposer des affiches malveillantes sur la porte de mon bureau. De tels comportements sont inadmissibles dans un établissement comme le nôtre et le ou la coupable mérite d’être sévèrement sanctionné. Toutefois, si, dans un souci de repentir, cette personne décidait de se dénoncer, je pourrais faire preuve d’un minimum de clémence dans l’application de la sanction… »
Il se tait, guette les réactions… pour l’instant, il n’y en a pas : les visages sont fermés, le silence est pesant. Il poursuit :
« Dans le cas contraire, et j’en serais désolé, je me verrais contraint d’envisager une punition collective. »
Un murmure de protestation commence à se faire entendre. Max observe les visages, et plus particulièrement l’un d’entre eux : ses soupçons se portent tout naturellement sur Léa, la plus facétieuse de ses étudiantes !
« Léa, tu es sûre que tu n’as rien à dire ? »
Léa rougit, fait non de la tête. Elle sent tous les regards tournés vers elle. Ses yeux s’humidifient.
« Non, Monsieur Maxou ! Ce n’est pas moi, je vous jure ! » gémit-elle dans un sanglot.
Elle a l’air sincère… Alors qui donc ? Max regarde attentivement les enseignants. Il a eu maille à partir avec Myrtille et Charlotte ; auraient-elles eu l’idée de se venger ?
Ou alors une étudiante vexée d’avoir été punie ? Luciana dont la susceptibilité n’a d’égal que la fierté ? Margot dont les colères et le langage de charretier résonnent régulièrement dans les couloirs ? Dorothée dont les réactions sont rarement prévisibles ?
Ou bien Fanny la pétillante ? Possible… Tiens ! Et Lisette qui collectionne les transgressions ! Oui, ça serait bien dans son style ! Ou alors Elsa la déjantée ? Angéla La ronchon, bien qu’elle se soit calmée ces derniers temps ? Violette, la sourde-muette ?
Beaucoup trop de suspects, décidément !
Plusieurs mains se lèvent.
Max donne la parole à Charlotte.
« En tant que présidente du Conseil, je m’interroge sur la façon dont cette école est gérée. Un peu moins de laxisme et un peu plus de fermeté ne seraient pas du luxe !
- Tu veux de la fermeté, Charlotte ? En voici : la punition collective concernera bien entendu les étudiants, mais aussi les enseignants ! »
Cette fois-ci , c’est un véritable brouhaha qui fuse au sein des professeurs.
Max reprend la parole.
« La séance est levée. Si quelqu’un a quelque chose à dire, je l’attend dans mon bureau… Demain matin, il sera trop tard. »
Et il sort de l’amphi sans se préoccuper des regards réprobateurs fixés sur lui.
Max reste dans son bureau et attend… les heures passent … l’institut se vide, les lumières d’éteignent , le silence s’installe. Il reste immobile, dans le noir, derrière la porte, à l’affût…
Il sent que le sommeil n’est pas loin : ses yeux picotent, il baille, sa tête dodeline… toujours rien… quoique ? Quel est ce bruit ? pas vraiment un bruit de pas, mais comme un léger glissement…
Il pose doucement sa main sur la poignée, et , dès qu’il sent un vague mouvement, il ouvre brutalement la porte et se trouve face à la chipie masquée…